Les enfants de la Clarée
Peu de récits d’actualité ont le pouvoir de m’emporter vraiment et j’ai parfois des réticences à m’y plonger. Certains parce qu’ils pêchent par leur écriture ou d’autres parce que leur ancrage dans la réalité freine mon imaginaire. Je viens de terminer Les Enfants de la Clarée de Raphaël Krafft et là, pour le coup, j’ai été transportée par ce livre. Je l’ai littéralement dévoré.
J’ai d’abord succombé à l’objet livre qui, comme toujours aux Editions Marchialy, est sublimé par le graphisme de la couverture, le soin apporté aux polices de caractère et à la mise en pages du texte, autant d’éléments, à mes yeux, qui transforment les titres de leur catalogue en objet de désir.
Mais derrière l’apparence, il y a bien évidemment le texte de Raphaël Krafft, ses mots posés avec une telle justesse et lucidité.
L’auteur s’est rendu à Névache, petite commune des Hautes-Alpes, où nombreux sont les migrants qui tentent de rejoindre la France depuis l’Italie par différentes routes dont une passe par le col de l’Echelle. La montagne est dangereuse et les accidents fréquents, au point que certains habitants décident de s’organiser pour porter secours à ces « naufragés de la montagne », au risque de devenir à leur tour des hors-la-loi aux yeux de la gendarmerie française. Mais pour « ces montagnards, il n’y a qu’une seule loi : sauver les gens en détresse ».
Une nuit de 2017, lors d’une maraude organisée, Raphaël Krafft fait la rencontre de quatre mineurs migrants, dont trois sont Guinéens, alors qu’ils tentent de passer le col enneigé. Alors qu"ils sont emmenés dans un lieu dédié à l’accueil des personnes migrantes, la gendarmerie les arrête avant d’abandonner les adolescents dans la montagne au niveau de la borne frontière.
Le journaliste nous emmène alors sur les traces de ces jeunes, nous rappelant au passage qu’ils ne sont encore que des enfants malgré les parcours terribles qui les ont menés de la Guinée aux Alpes, en passant par la Lybie, les traversées maritimes sur des canots de fortune, la violence, la torture parfois, la faim, la détresse toujours.
Raphaël Krafft aurait pu s'arrêter à la vallée de la Clarée mais il est allé bien au-delà de ce qui aurait pu rester une simple enquête, il a eu l’idée de partir en Guinée pour répondre aux questions des écoliers de Névache… des questions qui sont finalement tout autant les nôtres : le pourquoi du comment d’une situation inextricable et tenter d’approcher les raisons qui poussent ces jeunes à tout tenter jusqu’à, parfois, y perdre la vie.
Il ne faut pas chercher pas dans ce livre de solution miracle à la question migratoire mais le lire ce témoignage juste et poignant, se laisser guider par une réflexion réaliste et intelligente et, au final, sortir grandi de cette lecture.
En 2017, le maire de Névache avait terminé la commémoration du 11 Novembre avec ces mots écrits en 1930 par Pierre Bouvier, ancien combattant de l’Isère et poilu de 14.
« Tu n’as pas le droit de t’endormir dans l’indifférence […] tous les jours il y a des hommes, des femmes, des enfants victimes encore de la guerre, qui dans leur besoin, parfois dans leur détresse, demandent aide et pitié. Tu dois nous aider à les secourir. »
Dont acte.
Les enfants de la Clarée, Raphaël Kraft, éditions Marchialy, 19 €