On respire avec Anne-Laure Bondoux & Jean-Claude Mourlevat

C’est une aventure très joyeuse, surtout !

Librairie de Pithiviers    Votre deuxième roman en commun, Oh Happy Days, est paru le 12 mars chez Fleuve Editions. Pouvez-vous nous le présenter ?

Anne-Laure & Jean-Claude    Oh Happy Day, c’est l’histoire de Pierre-Marie Sotto, un écrivain à succès d’une soixantaine d’année, et d’Adeline Parmelan, une lectrice de presque cinquante ans. Tous deux se sont d’abord écrit pendant des mois (cette correspondance est parue en 2015 sous le titre Et je danse, aussi), puis ils se sont rencontrés et aimés, avant de se séparer brutalement. Oh Happy Day » raconte leurs retrouvailles mouvementées, quatre ans plus tard, alors que Pierre-Marie a traversé un « grand malheur » et qu’Adeline s’apprête à s’expatrier au Canada avec son nouveau mari.

Librairie de Pithiviers    Ecrire un roman épistolaire à deux, ce doit être une sacrée aventure à organiser. Comment avez-vous travaillé ?

Anne-Laure & Jean-Claude    C’est une aventure très joyeuse, surtout ! Pour Et je danse, aussi, nous n’avions rien prévu, rien organisé, et nous avions pris un plaisir énorme à tout improviser. Quand le désir de redonner vie aux personnages s’est manifesté, nous ne pouvions plus improviser autant puisque nous connaissions déjà le passé d’Adeline et Pierre-Marie, mais nous nous sommes ménagé le plus de surprises possibles. Nous n’avons pas fait de plan, nous sommes partis à l’aventure avec eux, avec leurs « bagages » et surtout, en nous connaissant beaucoup mieux. Cela nous a permis d’oser une forme hybride, à la fois roman épistolaire et narratif, plus complexe et riche en rebondissements.
Comme la première fois, nous avons travaillé par mail, puisque nous habitons à 500 kilomètres l’un de l’autre.

Librairie de Pithiviers    Comment vous définissez-vous ? Etes vous auteur.e (ou autrice), écrivain.e ?

Anne-Laure    J’ai grandi avec le désir de devenir écrivain, au masculin, car à l’époque de mon adolescence on ne féminisait pas le mot. Je suis donc partagée entre cette fidélité à mon rêve d’ado dans lequel le mot « écrivain » prenait une grande place et le désir d’affirmer ma place de femme dans ce métier. C’est le mot « romancière » qui me conviendrait le mieux pour l’instant. 

Librairie de Pithiviers    Vous venez tous les deux de la littérature « jeunesse ». Comment s’effectue le passage à la littérature adulte ?

Anne-Laure      Je me suis toujours méfiée des cases et des étiquettes. Je revendique la liberté de m’adresser à tous les âges, mais ce n’est pas toujours facile de communiquer autour de cette liberté. Le passage est parfois lent et difficile de ce point de vue. Il y a une certaine méconnaissance (une méfiance parfois) chez les différents acteurs de la chaîne du livre à l’égard de la littérature jeunesse. Mais j’ai confiance, ça évolue. Je travaille mes romans pour ados et pour adultes exactement de la même façon.

Jean-Claude    Il n’y a jamais eu de « passage ». Je n’ai pas deux casquettes. Plusieurs de mes romans, comme Le combat d’hiver, Terrienne ou Le chagrin du roi mort sont tout public, je pense. Depuis longtemps je sors mon « joker » dès qu’on me pose ces questions concernant la différence entre ces deux littératures. Pour moi il n’y en a qu’une.

Librairie de Pithiviers    Comment êtes-vous venu à l’écriture ? Êtes-vous né avec vos romans ou vous êtes-vous réveillée un jour en vous disant « je vais écrire… » ?

Anne-Laure      J’ai grandi entre des parents grands lecteurs, et en sachant que mon père avait le désir d’être écrivain (on revient au masculin). Il m’a transmis son rêve inassouvi, et dès l’adolescence, j’ai énoncé qu’écrire serai mon projet de vie.

Jean-Claude    J’ai publié mon premier roman en 1998, et j’avais donc 46 ans. Mais je me suis toujours ressenti comme quelqu’un de créateur et il est probable que j’avais depuis toujours en moi ce désir. Il a fallu tout ce temps, tout ce parcours souterrain, avant que ça devienne réalité.

Librairie de Pithiviers    Comment s’est fait le choix de Fleuve Editions ?

Par des tours et des détours, des rencontres, et… par chance. Après 5 ou 6 refus, Et je danse, aussi est arrivé chez Fleuve au moment où la maison ouvrait son catalogue à des romans en dehors du genre « noir », et ils ont adoré. Depuis, Jean-Claude a publié chez eux et en solo Mes amis devenus, et moi Valentine ou la belle saison ».

Mettons à profit cette pause forcée
pour prendre des forces. En lisant, notamment !

Librairie de Pithiviers    Parlez-nous de vos TOC (troubles obsessionnels compulsifs) d’auteur. De quoi avez-vous absolument besoin pour écrire ?

Anne-Laure      Les seules conditions essentielles pour moi sont le calme, la solitude, la lumière et beaucoup de temps. Ce sont des ingrédients très luxueux, j’en ai conscience.

Jean-Claude    J’ai besoin d’une seule et unique chose : c’est d’être mentalement dans mon histoire. Dès lors rien ne m’arrête. Je n’ai aucun rituel. Le moment venu il me faut cependant, comme à Anne-Laure, un minimum de calme.

Librairie de Pithiviers    Faites-vous un important travail d’investigation préalable pour l’écriture de vos romans ?

Anne-Laure      Tout dépend du projet, mais souvent, je fais un travail de recherches à mesure que j’avance dans l’écriture. Il est rare que j’accumule de la documentation en amont… sauf en ce moment, pour mon projet en cours ! Comme quoi.

Jean-Claude    En général pas du tout. La recherche intervient en cours d’écriture, selon la nécessité. Pour Oh happy day, il a bien fallu aller voir à quoi ressemblait cette ville de Toronto !

Librairie de Pithiviers    J’aime beaucoup cette phrase de Christian Bobin : « Peu de livres changent une vie. Et quand ils la changent, c’est pour toujours ». Vous pouvez nous parler d’un livre qui aurait changé votre vie ?

Anne-Laure      La mort est mon métier de Robert Merle, que j’ai lu quand j’avais 11 ans, et qui a été mon premier roman dit « pour adulte ». Je l’avais pris au hasard dans la bibliothèque de mes parents, pour son titre intrigant. Il a inauguré mon entrée dans un territoire infini, qui n’était pas réservé aux enfants.

Jean-Claude    Le roman qui m’obsède, qui m’accompagne depuis que j’ai 22 ans (je le relis tous les 4 ou 5 ans, de préférence en allemand), qui me fascine (de la même façon que son auteur me fascine), c’est Le château de Franz Kafka.

Librairie de Pithiviers    Si je vous demande de nous raconter une de vos journées type (hors confinement…)

Anne-Laure      Quand je suis en période d’écriture, j’allume mon ordinateur vers 9 ou 10h le matin, avec un café, puis j’écris jusqu’à la fin de la journée, avec une pause à midi : une journée de bureau très ordinaire en somme. Et je fais du sport (un peu de course à pied) au moins 2 fois par semaine.

Jean-Claude    Je suis assez souvent parti, pour des rencontres, des lectures, des salons du livre. Mais si je suis à la maison et en période d’écriture, alors soit j’écris effectivement dans mon bureau, soit je suis ailleurs (balades à vélo, bricolage) et… j’y pense.

Librairie de Pithiviers    … et une de vos journées type (en confinement)

Anne-Laure      C’est le même programme, sauf que j’ai du mal à rester concentrée. Depuis le début du confinement, je téléphone énormément à mes proches, je réponds à des dizaines de Sms, je lis des articles, je regarde les infos, du coup j’écris peu. Tant que c’est autorisé, je vais courir 2 ou 3 fois par semaine en respectant les règles sanitaires. Mais l’écriture est ma bulle, ma respiration, ma « fonction sociale » : cette période tourmentée, inquiétante, me la rend plus précieuse encore.

Jean-Claude    Je n’écris plus depuis des mois et ça continue. Le confinement n’y change rien. Je bricole énormément, je répare des trucs dans la maison. J’imagine chaque jour une « conférence » pour amuser mes proches. Ça peut être déjanté (une recette de cuisine par un cuisinier fou), participatif (une parodie du jeu des 1000 euros) ou plus culturel (exposé sur La flûte enchantée, sur Modigliani…)

Librairie de Pithiviers    Question subsidiaire : si vous deviez envoyer un petit message personnel pour soutenir les ami.e.s de la librairie de Pithiviers pendant cette période difficile…

Anne-Laure      Tenez bon ! Il va sortir de cette épreuve de très nombreux changements, nous devrons réinventer beaucoup de choses pour reconstruire, avancer, ça risque de nous demander individuellement et collectivement une énergie folle, alors mettons à profit cette pause forcée pour prendre des forces. En lisant, notamment ! Et, souhait très personnel, en évitant de retomber dans les conflits, les oppositions stériles, les passions tristes. Nous sommes dans une sacrée galère…mais une galère commune.

Jean-Claude    Il me semble que nous avons été arrêtés dans notre folie collective comme on peut l’être à titre individuel par un burn out, une dépression ou le dos qui lâche. Nous n’avons pas le choix. Mais il arrive une chose incroyable : on croyait impossible de stopper d’un seul coup les conflits militaires, les accidents de la route, la pollution etc. C’était possible ! Cela va hélas avec les drames personnels, les morts, les ruines. C’est le très lourd prix à payer. Quand on en aura fini avec le virus, il faudra se demander : est-ce qu’on recommence comme avant ? A cette détresse succèdera peut-être une sagesse. Un temps nouveau. Je plaide depuis longtemps pour un ralentissement, une tempérance. Je ne prends plus l’avion, je suis devenu végétarien. C’est peu, c’est ma goutte d’eau du colibri. Et il nous reste les livres ! En attendant de pousser à nouveau les portes de nos chères librairies (ce sera très agréable !), ne les achetez pas par Amazon. Patientez. A bientôt !

 

Photo  © Mélania Avanzato